« Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine… elle est mortelle ! », écrit Paulo Coelho. Le maintien dans sa zone de confort permet de se prémunir des foudres du risque. Le fameux métro, moto, auto ou vélo / boulot / apéro / dodo. Le poulet du dimanche, les amis toujours les mêmes et dans les mêmes combinaisons de rencontres car on est sûrs de bien s’entendre, les vacances d’été réservées en janvier, les vacances d’hiver réservées en octobre, la même séance de sport à la même heure, des repères œuvrant tels des repaires.
Il convient de ne porter aucun jugement sur ce modèle. D’autant plus que, bien souvent, les gens vivant ainsi sont des enfants, parents et époux aimants. Ils sourient dès le réveil, skient sans râler (l’une des plus grandes énigmes des temps modernes), prennent le temps de cuisiner à base de produits frais, auront plus tard de beaux petits-enfants qu’ils envelopperont d’amour, et dorment paisiblement. Un jour, ils meurent heureux, et avec de l’argent de côté. C’en est presque énervant.
Le goût pour la prise de risque est, de toute évidence, instinctif. Depuis plus de 17 ans que j’interroge des décideurs économiques, des animaux politiques et des dirigeants d’entreprise, je baigne dedans. Sans forcément le vivre directement, soyons honnêtes, car j’ai le CDI, la carte de presse et la convention collective en bandoulière. Quoique : la création de ce seul blog, en 2011, m’avait attiré de nombreuses inimitiés au sein de la profession. J’avais, semble-t-il, pris un risque. Mais passons. Toujours intéressant, donc, de suivre de près des politiques qui s’embarquent dans des campagnes compliquées, voire perdues d’avance, et qu’ils gagnent. On oublie bien vite, une fois qu’ils accèdent au pouvoir, tous les risques pris. Et on a tort d’oublier, car ces phases de conquête classent des personnalités.
Prenons, en Occitanie, deux élus, dont on dira pudiquement qu’ils ne passeront pas leurs vacances ensemble, et qui ont pourtant fait preuve de la même force de caractère : Carole Delga, président PS de la Région Occitanie, et Philippe Saurel, maire DVG de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole. En 2014, Saurel a remporté les municipales sur une liste dissidente, créditée de moins de 10 % des voix à deux mois du scrutin, face au candidat établi et favori des sondages. Il fallait y aller. En 2015, Delga a démissionné du secrétariat d’Etat au commerce et à l’artisanat, pour disputer (et remporter, au prix d’une alliance entre les deux tours) la bataille des régionales en Occitanie, face au frontiste Louis Aliot, arrivé devant elle au premier tour. Il fallait y aller.
Dans le business, le risque peut mener très haut, autant qu’il peut précipiter très bas. Le cas Carlos Ghosn, patron déchu de l’Alliance Renault-Nissan, claque comme une évidence. Mais il y a des nuances multiples, entre, et pour reprendre des exemples plus « sudistes », la réussite du franco-syrien Mohed Altrad (services à l’industrie, dont le groupe emploie aujourd’hui 42 000 salariés dans le monde, par ailleurs président du Montpellier Hérault Rugby), la position financière délicate d’Orchestra (mode enfantine) qui doit accélérer sur sa transformation digitale, ou la cessation de paiement du géant catalan du BTP, Fondeville, que l’on pensait pourtant indestructible – comme quoi, il faut toujours douter.
Le risque peut aussi consister à ne rien faire, à ne pas bouger de ses positions. On rencontre chaque semaine des PME dont les difficultés proviennent d’un manque d’innovation – la fameuse phrase, que tout le monde a forcément entendu un jour : « On a toujours fait comme ça ». Ou celle-ci, délicieuse : « On loue la fidélité, mais elle procure beaucoup de peine. » Le risque, dans son acception plus commune, revient à s’exposer personnellement, à bousculer les lignes adverses, à perturber l’ordre établi. A quoi sert le risque, au juste ? A vivre plus intensément, à progresser plus vite, à gagner des parts de marché, quitte à se consumer plus vite que les autres. Vous l’aurez compris, je m’inscris plutôt dans cette démarche. Et tant pis s’il n’y a pas de poulet au menu de dimanche midi.
Il y a un paradoxe français qui consiste à considérer les artistes et les sportifs et à dénigrer les patrons. Tous n’arrivent pourtant au sommet de leur art qu’en prenant des risques, en se remettant en cause et en préférant l’adrénaline à la douce quiétude de la pantoufle. Moi, je dis respect.